Comment j'ai dechiffre la langue etrusque
EAN13
2000037220486
Éditeur
Grasset
Date de publication
Nombre de pages
192
Dimensions
140 cm
Poids
330 g
Langue
français

Comment j'ai dechiffre la langue etrusque

Grasset

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PREMIERE PARTIE?>D'AUTRES...?>?>I?>BORDEAUX ET SES ENVIRONS?> BORDEAUX REDÉCOUVERT?>J'ai dû passer beaucoup d'années loin de ma ville pour apprendre à la juger sans passion : comme je ne me plaisais pas à moi-même, elle me déplaisait aussi. Je ne la séparais pas de ma propre histoire. Aujourd'hui seulement, il m'est possible de suivre Planes-Burgade et de considérer Bordeaux avec les yeux d'un voyageur étranger. C'est le signe, hélas! que mon enfance, mon adolescence disparaissent dans la brume et que le temps, déjà, les recouvre.Je puis enfin vérifier, sur place, l'opinion de Stendhal qui, entre toutes les villes de France, assigne à Bordeaux le premier rang. Un enfant de 1899, un jeune garçon de 1903, n'arrivent plus à me cacher le Port : ma propre image a fini de s'interposer entre la cité et mon cœur.Je m'irrite encore, mais c'est contre la Colonne des Girondins qui n'est pas à l'échelle des colonnes rostrales (et je me souviens du jet d'eau et du bassin rond qu'elle a bien malheureusement remplacés). Je maudis la banque insolente, au coin de la rue Esprit-des-Lois, qui rompt l'harmonie de la place et impose au Grand-Théâtre les proportions d'un piano à queue.Ce ne sont là que des ombres. Je vois, maintenant, ce que je ne voyais pas au temps où j'habitais Bordeaux : ce miracle de mesure, cette ordonnance, ce style. Depuis que je ne suis plus obligé de passer par moi-même pour atteindre ma ville, je m'étonne d'y être né. Il ne me semble point que cette mère très sage m'ait légué ses vertus, son goût, son équilibre, et je m'attriste de lui ressembler si peu.O beauté modérée! Les touristes pressés te traversent sans te voir, si vif est ton souci de ne pas attirer l'attention. Bordeaux, ville dessinée avec amour, ville faite à souhait pour la promenade, pour la flânerie et la perte du temps! A Paris, il semble que, d'elles-mêmes, les rues ne nous mènent nulle part; celles de Bordeaux, au contraire, nous portent insensiblement au Jardin Public, aux Quinconces, au Théâtre, au Port : nous pouvons sortir sans but, assurés d'aboutir à une merveille.
(Georges Planes-Burgade,Bordeaux historique et descriptif.Bordeaux, Picquot, 1934.) LES DEUX BORDEAUX?>Pour moi, il existe deux Bordeaux : d'abord la ville qu'à chaque retour je revois surgir du fleuve limoneux, à peine le train a-t-il grondé sur le pont de fer. Alors mon premier regard va à la passerelle qui court au flanc de ce pont. Il fut un moment de ma vie où elle était un but de promenade dominicale. « Si nous allions à la passerelle ? » O morne enfance!La passerelle m'introduit dans l'autre Bordeaux, celui qui, au-dedans de moi-même, m'a toujours paru le plus vivant des deux, bien qu'il soit enseveli depuis tant d'années. Plus vivant mais décomposé, il dégage cette espèce de poisons nécessaires, peut-être, à la naissance d'une œuvre romanesque.Ce Bordeaux intérieur et le Bordeaux visible entrent en lutte, et le vainqueur n'est pas celui qu'on pourrait croire : presque toujours le réel doit céder à l'imaginaire. Sur ce sujet, Marcel Proust a tout dit, et il faut toujours en revenir à l'admirable dernière phrase de Du côté de chez Swann : « Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contiguës qui formaient notre vie d'alors. Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas! comme les années. »Je suis d'autant plus sensible à la vérité énoncée par Proust qu'ayant tant de peine à identifier le Bordeaux de pierre, lorsque je m'y retrouve, il me faut pourtant reconnaître que ma ville natale est restée la même, au point que je suis choqué par le moindre changement de propriétaire, par un magasin déplacé, par une vitrine que je n'étais pas accoutumé à voir il y a quarante ans. Je recherche avec inquiétude, sous la nouvelle décoration de la Maison Prévost (dont le chocolat glacé est immuable depuis un demi-siècle), les moulures qui m'ont vu à quinze ans déjeuner au petit matin, après avoir fait exprès de manquer l'omnibus du collège : j'espérais voir sortir les derniers danseurs du bal des étudiants. Je vérifie avec joie que la salle modern style du Café de Bordeaux est intacte et que les cariatides qui en garnissent le fond sont toujours les mêmes opulentes personnes, inspiratrices de mauvaises pensées. J'y redécouvre les décorations florales et ces étonnantes mosaïques dont les Pères de la Grotte ont dû se souvenir quand ils ont édifié la basilique du Rosaire, de Lourdes.Mais hélas! La Maison Gobineau, cette frégate de pierre, a été exhaussée depuis mon enfance. Autre crime du même ordre : au coin de la rue Esprit-des-Lois, cet immeuble insolent qui rapetisse l'adorable Grand-Théâtre et risque de le ramener aux dimensions d'un piano à queue. Le mauvais exemple du péché contre les proportions fut donné, vers 1895, par les édiles responsables de la Colonne des Girondins : elle remplace un bassin, aussi beau que celui des Tuileries, qui s'accordait aux colonnes rostrales et aux maisons nobles et pures de l'hémicycle des Quinconces. Je me souviens d'avoir entendu mon oncle Dusolier assurer que cette colonne était un enfant naturel, parce que l'auteur du projet n'avait pas voulu la reconnaître.Mais, sauf ces quelques erreurs, Bordeaux s'est beaucoup mieux défendu que Paris contre les faux embellissements, et presque rien ne devrait me déconcerter aujourd'hui dans la ville où j'ai vécu les vingt premières années de ma vie. Pourtant, s'il arrive que la cité visible rejoigne en moi la cité impalpable, jusqu'à la confondre avec elle, ce n'est presque jamais lorsque je me promène sur le port glorieux, ni quand je recommence le tour de manège d'autrefois : Tourny, l'Intendance, le cours du Jardin-Public... Mais, dans certaines petites rues sans caractère du quartier Saint-Seurin, une porte tout à coup m'apparaît, un œil-de-bœuf, tels que je les apercevais chaque matin et chaque soir à travers la vitre embuée du parcours qui ramassait à tous les carrefours de ce quartier des écoliers engourdis. Alors je reconnais ma ville.Pour les étrangers, la beauté de notre Bordeaux éclate sur le visage qu'elle dresse au-dessus du fleuve. Mais moi, je connais les extrémités glacées de son corps : celles qui touchaient au triste collège, celles de Saint-Genès, où chaque petite maison ressemble à un temple élevé en l'honneur de la vie décente et besogneuse. Le palais de la Bourse, même lorsqu'il se détache, les soirs d'été, sur un ciel de soufre parmi des vergues et des voiles, me fait moins rêver que cette fenêtre d'une échoppe que je sais, rue Ségalier, où, lorsque passait le parcours, il y avait toujours une femme accoudée : ses bras étaient ceux d'une personne ordinaire, mais sa figure me paraissait barbouillée de farine et de confiture de groseilles. Derrière elle, de l'acajou luisait dans une demi-ténèbre.Pour moi, d'autres endroits sensibles de ce beau corps de Bordeaux sont ceux où j'ai campé au gré de l'humeur maternelle : rue Duffour-Dubergier, dans la maison de ma grand-mère, au troisième étage, habité maintenant par notre confrère Planes-Burgade, et où les cris des martinets perçaient les soirs étouffants avec une telle furie qu'après quarante années ils m'étourdissent encore; puis, au coin de la rue Vital-Carles et du cours de l'Intendance, d'où nous dominions les entrées solennelles de généraux, de lords-maires, de présidents de la République, de reines des blanchisseuses, sans compter la merveilleuse chienlit du mercredi des Cendres et la retraite militaire du samedi soir, qui, malheureusement s'arrêtait de jouer devant chez nous, pour reprendre souffle et ne donner tout son effort que quelques mètres plus loin, devant le Quartier général. Puis nous désertâmes la rue Vital-Carles pour ce vieil hôtel de la rue Margaux où un ruisseau souterrain, la Devèze, entretenait les moustiques les plus gros et les plus féroces que j'aie jamais rencontrés sous aucun climat.Ainsi toutes les mesures sont brouillées, si je veux parler de notre ville, par le reflet vivant qui en demeure au-dedans de moi...
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