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    11 juin 2010

    Quelle belle lumière orientée sur Corot !

    Cet ouvrage est atypique , il demande certainement un peu plus d'efforts que les romans ou essais actuellement sur les tables de nos libraires ; mais quel bonheur d'en découvrir les passages secrets, les envolées poétiques, les moments charnels et sensuels et d'entrer dans les pas et les pensées de Corot mais aussi de ses contemporains , de ses muses , de ses compagnons de voyage souvent artistes eux mêmes (Carl Rottmann et Ernst Fries) «  c'étaient les peintres, on en prenait l'habitude, ils revenaient de temps en temps pour s'abattre dans les campagnes , isolés ou ramassés, lissant leur plumes et observant alentour comme des oiseaux migrateurs »

    A propos de ses rencontres charnelles voire amoureuses , on peut citer ces deux phrases qui montrent comment Corot s'interroge sur les conséquences de ces liens personnels et/ou sensuels sur sa peinture : « Il en était là de ce jeu chardonneux qui à nouveau le rendait fou quand ils furent submergés par une vague de tendresse » « La tendresse, plus nuancée, unifiante et douce rivalisait beaucoup plus avec le coeur même de son art.Elle était chez lui , bien installée , et nulle créature, aussi ravissante et entêtante soit-elle, n'avait le droit de venir la lui voler. »

    On prend un grand plaisir à partager leurs discussions et débats sur l'art en général et sur la peinture en particulier .
    On entrevoit à travers les réflexions personnelles de Corot ou du moins ce que l'auteur nous fait partager de ses impressions sur Corot , ce que Corot a voulu transmettre à travers SES paysages « Un paysage , c'est un moment, un sentiment, et par conséquent une idée, un événement, une intrigue »
    Ses interrogations sur l'intervention de ses propres sentiments sur la nature qu'il peint « Je sais, je suis polymorphe et variable..comme la vie .Tantôt je rêve , tantôt j'agis, j'alterne la mine de plomb, le pinceau , la brosse » «  Peindre avec son coeur (…) consiste sans doute à éliminer les détails anecdotiques , à aller à l'essentiel »
    Corot oscille tour à tour entre le besoin de prendre des références dans ses images et expériences passées mais il dit aussi qu 'il faut se référer à l'instant présent. « Il faut attraper tout de suite ce qui compte , qui se cristallise et forme un idéal exemplaire, lequel ne se modifiera plus ensuite.N'y touchons plus . C'est l'instant qui nous dessine la réalité »

    Une vraie découverte que cette balade d'une qualité écrite de tout premier plan auprès de Corot.
    Seul petit bémol , parfois l'enthousiasme de l'auteur ne semble pas avoir de fin et certaines phrases souvent très belles s'éternisent un peu et nous laissent parfois sur le bord du chemin .Heureusement grâce aux merveilleux petits cailloux (mots) si brillants de l'auteur , on trouve un autre passage et on découvre combien cette longue et belle route en valait la peine.
    Comme si l'auteur n'avait souhaité conserver à ses côtés que les plus rêveurs d'entre nous «Au sein de cette somnolence féconde, la langue se déliait du songeur, les figurations faisaient issue du rêve pour venir ensuite ensorceler l'éveillé.Ainsi naissaient des formes audacieuses conçues dans l'obscurité de la plongée léthargique (..)» . Le rêve est aussi un grand lieu d'inspiration pour Corot.
    J'aurais aussi adoré retrouver quelque part dans le livre quelques peintures de Corot pour m'y plonger de temps en temps mais cet ajout d'illustrations aurait peut-être rendu le livre plus couteux que pour le lecteur , cela doit être probablement un choix éditorial.

    Ce livre s'adresse aux passionnés de poésies, poèmes, aux artistes en herbe ou amateurs éclairés, aux rêveurs qui souhaitent voyager un pinceau à la main , la tête dans les nuages et le corps en fusion.
    Enfin ils s'adressent aux amoureux des beaux textes tout simplement qui y trouveront un vocabulaire riche , puissant où la sensualité n'est jamais absente .
    « un peu comme lui (..) décerne à ce panorama un regard d'embrasement qui sait accorder les tons, tolérer que se côtoient ces grumeaux bruns, ces lavis chair,peindre au delà, passer par-dessus, le peintre doit accepter ces dissonances, les faire siennes »