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    27 juillet 2019

    Salomé est atteinte d'une infirmité motrice cérébrale, suite à un accouchement qui s'est très mal passé. Salomé fête ses dix-huit ans. Le même jour sa mère, Calista, apprend que son mari, Cyril, le père de Salomé -et de Théodora leur cadette- la trompe depuis dix-huit ans avec la même femme.

    Calista l'oblige à quitter la maison et le couple. Puis, elle se met à écrire un roman, celui de cette période compliquée, faisant des parallèles entre l'accompagnement de tous les instants de Salomé et l'adultère de Cyril, tentant de comprendre l'un à travers l'autre ou comment elle aurait pu découvrir l'un grâce à l'autre.

    Évacuons tout de suite, ce que j'aime moins dans ce livre : des longueurs ou répétitions, des choses que j'ai eu l'impression de lire et relire, mais pour contrebalancer cette sensation, l'épreuve traversée par Calista est douloureuse et elle a beaucoup à expulser, à dire. Dix-huit années de retenue. Dix-huit années avec Salomé quasi seule tant Cyril s'absentait pour son travail et pour sa maîtresse. Et une réflexion permanente sur le couple en général et sur le couple lorsque celui-ci est parent d'une enfant handicapée.

    Ce que j'aime beaucoup maintenant et qui compense très largement les lignes ci-dessus, c'est le style : direct, des phrases courtes, simples qui vont droit au but. Ça rend le roman dynamique, absolument pas plombant alors que le thème pourrait le laisser croire, mais Calista, même si elle a des moments d'abattement se relève toujours avec une envie inébranlable. Elle ne tait rien, contrairement à Cyril, tout est dit dans son roman, ses questions, ses actions, ses remarques les plus intimes la concernant elle ou Salomé. Elle se livre totalement. "Les souvenirs se cachent dans les replis de l'hippocampe, siège de la mémoire. Calista essaie de les extraire, elle tire fort, et plusieurs fois, comme la gynéco avec la ventouse, il y a dix-huit ans. Ceux qui sortent, elle les réanime. Ils se remettent lentement à respirer, tenant à peu près debout. Elle fait avec. Elle lit que marcher rapidement pendant quarante minutes trois fois par semaine, en balançant bien les bras, favorise la mémoire, des études le démontrent. Elle s'y met. Au moins le temps d'écrire ce livre." (p.51) Et la manière d'écrire, avec ses allers-retours, ses images, ses comparaisons entre le handicap de Salomé et la trahison de Cyril, l'humour parfois désespéré, parfois plus vache voire assez méchant et totalement assumé donne un ton réaliste. J'ai eu l'impression de lire une version romancée de situations vécues. Calista ne juge pas beaucoup, elle aligne les faits qui parlent d'eux-mêmes, elle s'emporte et se raisonne, puis ne raisonne plus du tout. Les médecins et notamment la gynéco qui l'a accouchée ne sont pas tant accablés et pourtant, il y a matière à le faire. Cette gynéco n'en sort pas grandie, le contraire eut été étonnant, mais Calista ne s'attarde pas sur cette colère et préfère garder son énergie à s'occuper de Salomé qui lui en demande tant.

    Ce roman est d'une vivacité folle, d'une force peu commune. Corine Jamar raconte le quotidien des parents d'enfants porteurs de handicaps, plus ou moins sévères. 80% des couples ne résistent pas, la mère se retrouvant dans la très grande majorité des cas à assumer l'enfant dans sa vie de tous les jours : les couches, les repas, les colères, les cris inexpliqués, les recherches de centres, les allers-retours, ... Tout cela elle le dit sans détour, ajoutant la situation de séparation du couple, un moment toujours délicat après vingt ans de mariage et l'écriture du roman.

    Tout cela est fort bien fait et les passages d'un thème à l'autre se font au détour d'une phrase, parfois dans la même sans que cela ne gêne. Excellent roman qui permet de comprendre -de loin- le quotidien des parents d'enfants handicapés et qui continuent à vivre pour eux aussi. Le tout emballé dans une écriture directe qui m'a ravi.