Le dimanche on va au restaurant

Le Drian Marie

La Part commune

  • Conseillé par
    2 décembre 2011

    Oh mères amères !

    Second roman de l'auteur, écrit en 1994, ses thèmes favoris sont déjà présents, ainsi qu'un humour décalé, dirions nous! Il est question de langoustines, de bord de mer, de mère aussi, s’il y a un bord de mer, il y a obligatoirement un intérieur des terres! Ne restons pas dans le vague, ni dans le brouillard et voyons ce qu'il y a au menu!
    Un port breton sur le déclin ; du poisson, il ne reste que l'odeur. Le choix politique plus au nord a entraîné « la débâcle des mareyeurs », et celle de la ville! Le père chauffeur de camion est mort, laissant derrière lui, une femme et un enfant et une dernière volonté qui va marquer la famille!


    Il demande en effet à être enterré près de sa première épouse! Proposition accueillie par un silence de mort, cela va de soi, mais qui sera respectée. La vie de Chim se résume alors à chercher un hypothétique travail et à aider sa mère et la mère de Louise, sa compagne, toutes deux veuves et pour le moins envahissantes. Et aussi aider Louise, qui elle, travaille. Donc Chim petit à petit devient l'homme à tout faire. Il a abandonné ses rêves, qui pourtant n'étaient pas glorieux, il voudrait se marier, mais sans situation, Chim, tu n'y penses pas, lui dit sa mère!
    Car elle n'est pas évidente sa vie , prenez un exemple, il faut respecter les morts : pour Joachim Senior, pas trop de problèmes si l'on suit à la lettre les consignes maternelles! Mais pour celles du père, ce n'est pas de la petite bière, la situation est grave, tout doit être étudié dans le moindre détail, ne pas en faire plus que « la famille adverse », celle de la première épouse du père! Mais attention, ne pas en faire moins, ne pas paraître mesquin, nettoyer que la moitié de la tombe, surtout pas plus et surveiller que les autres en fassent autant !
    Et les courses, quel chemin de croix, allez par exemple acheter des langoustines, là c'est le calvaire!« Une petite livre » pas plus, pas moins, mais il y a trois tailles, quel dilemme! Et pour ajouter à la confusion de notre vaillant coursier, la poissonnière offre une grosse langoustine en cadeau! Lui qui a pris des petites! Et le dimanche, chaque femme avec ses desiderata, ses commerçants favoris évidement situés aux deux extrémités de la ville, et leurs horaires à respecter! Pourquoi, au moins le dimanche, ne pas manger ensemble, rien qu'une fois par semaine, pourquoi?
    Encore une fois les personnages sont « limités », Chim, Joachim de son prénom de baptême, qui est également le prénom de son oncle, frère de sa mère. Pour éviter toute erreur, il est affublé du diminutif « Chim » et cela même après la mort du tonton, personnage un peu excentrique, qui lui offrit un tatouage pour sa première communion! Initiative pour le moins malheureuse.
    Mais petit à petit, Chim a des doutes, de gros doutes. Il se souvient et s'interroge sur son enfance, et déjà, les courses du soir, en chaussons, vite fait, toujours quelque chose qui manque pour le repas du soir! Du beurre, de la farine et toujours une petite bouteille de vin, « vite Chim, d'un coup de chausson »!
    Si tonton Joachim n'était pas mort? Si la voie ferrée avait été construite? Si la ville était restée comme avant? Si l'on regardait autre chose que les photos le dimanche après-midi? Si ma mémoire n'était pas si fidèle? Si je n'avais pas été à l'institut? Parfois on a envie de lui botter les fesses à ce pauvre, complètement désemparé, mais n'est-ce pas trop tard!
    Louise, elle, est plutôt absente, elle est la compagne, pas l'épouse, elle travaille, mais profite aussi allégrement de Chim, et le mène aussi par le bout du nez. Il reste à Chim la promenade du dimanche et de regarder les photos, immuablement. Pour elle aussi, parfois Chim a des doutes.La mère de Chim, et la mère de Louise, femmes pleines de principes, autoritaires et acariâtres, ne voulant jamais avoir l'air de faire des concessions (et qui n'en font jamais d'ailleurs)! Quel tandem, pas une pour racheter l'autre, pensant toujours que l'autre est avantagée, pour l'ordre des courses, etc....Le père qui veut une fois mort la paix demande à être enterré avec son ex-épouse, comme cela, il est sûr que le caveau ne sera plus ouvert! Repos éternel enfin? Au fur et à mesure du livre, on finit par le comprendre! Les mères sortent rarement indemnes des romans de Marie Le Drian, et les pères se taisent, ici il meure!
    Les cousins, ceux de « l'intérieur », froids et guindés, se plaignant de la non desserte de la ville par le train, ceux qui murmurent pour l'enterrement du père, des cousins lointains pour tout dire! En plus ils ont quitté la côte pour vivre à l'intérieur des terres! En plus des personnages principaux, c'est également la description d'une ville qui se vide avec des gens qui pour des raisons diverses restent là en espérant que le vent tourne! Une vie à l'ancienne, pourrait-on dire.
    J'aime cette manière de parler de choses graves avec un ton inattendu! Un livre grave qui ne dépareille pas la bibliographie de l'auteur, malgré le fait que je l'ai trouvé plus difficile de lecture que les autres.