1929, La première grande crise
EAN13
9782875150257
ISBN
978-2-87515-025-7
Éditeur
Ixelles éditions
Date de publication
Collection
IX.MIN.GUI.ECOL
Nombre de pages
285
Dimensions
23 x 15 cm
Poids
448 g
Langue
français
Code dewey
330

1929, La première grande crise

Ixelles éditions

Ix.Min.Gui.Ecol

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Introduction

En octobre 1929, Winston Churchill parcourait les États-Unis. Il n'était plus chancelier de l'Échiquier et personne n'imaginait que, à peine dix ans plus tard, il aurait à diriger l'Angleterre dans les années les plus sombres de son histoire. Le Parti conservateur venait de perdre les élections. Beaucoup même pensaient que Churchill avait son avenir derrière lui. Il voyageait en Amérique pour parler de ses livres, en préparer d'autres, écrire des articles, donner des causeries. Il emportait sa réserve de cognac et de whisky dans des bouil­lottes et des bouteilles de médicament, car les États-Unis vivaient encore sous le régime « sec » : alcool interdit ! Il dîna à Hollywood avec Charlie Chaplin. Il rencontra le magnat de la presse William Randolph Hearst et sa maîtresse, l'actrice Marion Davies, dans le château délirant qu'Orson Welles reconstituera un jour pour son film Citizen Kane. Il revint vers l'Est dans le wagon particulier d'un riche homme d'affaires et rencontra le président Hoover. Il avait placé ses économies à la Bourse la plus sûre du monde : New York.

Il logeait au Savoy-Plaza. Le 24 octobre, un jeudi, il dîna avec des banquiers et des financiers auxquels, à l'occasion d'un toast, il s'adressa en les appelant « chers amis et anciens millionnaires ». C'était pour rire. Ce même jour, à la Bourse, 13 millions de titres avaient été liquidés à vil prix, quand ils trouvaient preneur ; c'était la plus grande catastrophe financière de tous les temps, mais on ne le savait pas encore.

Le lendemain matin, entendant des cris au dehors, il regarda. « Sous ma fenêtre, raconte-t-il, un gentleman avait sauté dans le vide depuis le quinzième étage et s'était rompu les os, provoquant un vif émoi et l'arrivée des pompiers. »

Dans la journée, il voulut voir Wall Street et le Stock Exchange (la Bourse des valeurs). On le reconnut, on le fit entrer. « Je m'attendais à trouver un tohu-bohu infernal, écrit-il, mais je ne vis que calme et ordre. » On ne lui avait pas dit que les agents de change et leurs collaborateurs ne sont pas autorisés à courir dans les locaux de la Bourse : « Défense, disait le règlement, de courir, de jurer, de se bousculer ou d'être en manches de chemise. » Il ignorait encore que les actionnaires de Wall Street, dont il était, allaient en quelques semaines perdre 30 milliards de dollars, presque autant que ce qu'avait coûté aux États-Unis la Première Guerre mondiale. Churchill figurait parmi les victimes.

Ainsi commença la Grande Dépression, comme disent les ouvrages historiques et les études sur l'économie et la finance. Les majuscules s'imposent, comme à la Grande Guerre et à la Ruée vers l'Or. « L'événement le plus important du siècle, écrit John Kenneth Galbraith, plus important que les deux guerres mondiales, en tout cas pour l'Amérique, plus important que la libération de l'énergie atomique, et à côté duquel le voyage dans la Lune est une anecdote. » Le séisme financier par excellence, la crise exemplaire. Le célèbre historien de cet événement et de l'économie ajoute : « Pour qu'un nouveau désastre survienne, il suffit que le souvenir du précédent ait disparu. Et nul ne sait combien de temps il faut pour oublier. » Le monde n'a pas oublié. Il ne se passa pas de jour, en 2009, sans que l'on évoque le souvenir, la référence, la hantise de 1929.

Trois coups de cloche

Depuis 1626, Wall Street appartient à l'histoire de l'Amérique et du monde. C'est là, en effet, que fut conclu le marché que l'on tient en général pour le plus léonin jamais conclu, lorsque Peter Minuit, gouverneur hollandais de New Amsterdam, ainsi qu'alors s'appelait New York, acheta aux Indiens pour 24 dollars de quincaillerie l'île de Manhattan ; les acheteurs s'aperçurent seulement, peu de temps après, que la tribu avec laquelle ils avaient conclu l'affaire n'était pas la bonne, si bien qu'après avoir payé l'île, il leur fallut la conquérir.

En ce temps-là, la Bourse siégeait sous un sycomore ; de graves messieurs en tricorne, jaquette, culotte courte et bas blancs qui leur moulaient les mollets, faisaient leurs affaires en plein air. Pour se protéger des Anglais, ils construisirent une palissade – un mur, wall. Le mur fut démoli en 1699 ; à la place courut un chemin de terre, qu'on appela Wall Street, « rue du Mur ». L'hiver, on s'abritait dans la cabane voisine, où se rencontraient les échangeurs de bons du Trésor et, déjà, les spéculateurs.

À Manhattan, la place est rarissime. La seule dimension où il soit possible de grandir est la hauteur. On construisit donc des gratte-ciel. Ceux de Wall Street, entre Broad Street et William Street, sont anciens ; ils tombent à pic sur le trottoir ; Wall Street, tout en bas, ressemble à un canyon.

Le bâtiment du Stock Exchange se donne des airs de temple, avec six colonnes corinthiennes en marbre de Géorgie feignant de supporter un chapiteau peuplé de personnages allégoriques qui représentent l'agriculture, les mines, l'industrie. Il se complète, de nos jours, d'une très moderne construction de 24 étages.

En 1929, 2 000 personnes travaillaient dans les locaux de la Bourse de New York. On venait de couvrir de moquette, pour atténuer les bruits, les 5 000 mètres carrés de parquet de la salle principale. Celle-ci s'entourait d'une galerie à laquelle avait accès le public ordinaire. Un millier d'agents de change étaient les seules personnes autorisées à effectuer des transactions ; ils avaient leur local au premier étage, véritable cœur des affaires. Autour de la salle principale allaient et venaient, affairés, agitant des petits papiers, les représentants des agents de change, les courtiers, les coulissiers et les brokers, intermédiaires qui effectuent les transactions – un mot passé au français et que l'on a beaucoup employé depuis 2008, pas toujours pour dire du bien de ceux qui le portent. Autour de la salle, on voyait dix-huit comptoirs en forme de fer à cheval, chacun voué à une spécialité : ici le pétrole, là les télécommunications, plus loin l'acier, ailleurs l'électricité, etc.

Au fond de la salle s'élevait une petite tribune. Chaque jour sauf le dimanche, à 10 heures moins une, y apparaissait William R. Crawford, un monsieur de taille moyenne, portant moustache et haut col de celluloïd, l'air grave, armé d'une cloche. C'était le directeur de la Bourse et il n'avait pas pour un cent d'humour ; un jour un journaliste l'avait traité d'« adjoint de Mammon » – Mammon, dans la littérature juive et chrétienne, est la personnification des biens matériels dont l'homme devient esclave – et ça ne l'avait pas fait rire. À 10 heures précises, M. William R. Crawford donnait trois coups de sa cloche et le brouhaha dans l'immense salle montait de plusieurs tons : les transactions pouvaient commencer.

Le long des murs, les tickers, sous leur globe de verre, se mettaient à crépiter. Les tickers, ce sont les téléscripteurs ; ils débitaient un ruban de papier large d'un pouce, le tape, portant les chiffres des valeurs récentes, avec leurs hauts et leurs bas. (Quand une personnalité descend Broadway acclamée par la foule et sous un nuage de papier tombant de toutes les fenêtres, la manifestation s'appelle une tickers tape parade). Chaque opération effectuée dans la salle faisait l'objet d'une fiche aussitôt envoyée par tube pneumatique au local où 200 employés et employées alimentaient le ticker ; enregistré sur la bande de papier, le chiffre repartait vers les bureaux des agents de change partout aux États-Unis. Chez les agents de change, des rangées de bancs recevaient clients et spéculateurs, comme au cinéma, devant les tableaux où venait s'inscrire le résultat des opérations.

En octobre 1929, M. Crawford avait depuis peu fait installer un ingénieux système qui projetait sur des écrans en les agrandissant les indications défilant sur les téléscripteurs. Il s'en montrait très fier. La Bourse de New York était la plus moderne du monde. Le jeudi 24 octobre, les agents et les courtiers arpentant la moquette toute neuve allaient ainsi être plus vite encore mis au courant du malheur qui les frappait, eux et leurs clients.

À 15 heures, le directeur réapparaissait. Trois autres coups de cloche marquaie...
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