Blanche Maupas, la veuve de tous les fusillés, La veuve de tous les fusillés
EAN13
9782809802320
ISBN
978-2-8098-0232-0
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Histoire
Nombre de pages
248
Dimensions
10 x 10 x 2 cm
Poids
332 g
Langue
français
Code dewey
940.405

Blanche Maupas, la veuve de tous les fusillés

La veuve de tous les fusillés

De ,

Archipel

Histoire

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eISBN 978-2-8098-0968-8

Copyright © L'Archipel, 2009.

1

Comme dans un livre d'images, pour peindre les souvenirs quand ils sont heureux : le ciel d'un bleu tranchant, l'herbe verte, la nappe blanche, un peu de vin, un ruban de fillette emporté par le vent. Et tant pis si l'herbe est pelée, le temps incertain, le vin un peu râpeux et qu'aucun papillon ne virevolte autour d'eux. C'est l'image que Blanche a gravée dans sa mémoire ; juste quelques rehauts de couleur pour qu'elle devienne moins pâle lorsqu'elle se présente à son esprit.

Ce jour-là, Théophile s'est réveillé tôt, comme à son habitude. Il l'a laissée dormir, puis est descendu de son pas de matou. Branlante, la cinquième marche a feulé. Il s'est installé dans sa chaise face à la porte vitrée qui donne sur le jardinet. C'est le matin, dans cette heure accordée à la solitude, qu'il a l'esprit le plus frais. Théophile a lu une trentaine de pages d'un livre de Remy de Gourmont, puis a suspendu son petit miroir à la clenche de la fenêtre afin de se raser. Après quoi il est remonté à l'étage lui apporter au lit une tasse de café encore fumant. Entre-temps, Petit-Jean s'est glissée dans le lit de sa mère, où elle sommeille.

Puis Suzanne a fait son apparition dans sa chemise de nuit de toile blanche, les yeux encore gonflés. À toutes trois le mois de juillet et quelques après-midi de baignade à Saint-Martin-de-Bréhal ont rosi les joues et hâlé le teint, même celui de Suzanne, d'ordinaire pâlichonne. À treize ans, c'est une adolescente aux yeux clairs et aux longues tresses, gaillarde et vive, et qui, l'enfance passée, n'a pas rompu avec la manie de poser des questions à tout bout de champ. Sa curiosité tire avantage d'avoir pour père un maître d'école.

Pour les vacances, Théophile a fait l'acquisition de trois vélos neufs. La famille ne se lasse pas de se promener dans les sentiers, évitant les chemins pierreux qui pourraient être fatals aux pneus. Pendant que les filles trempent leur morceau de pain d'orge dans leur bol de lait et que le vent mugit aux carreaux de la cuisine, Théophile attelle aux vélos des remorques en bois pour transporter victuailles et jeux lorsqu'ils partiront pour la journée. Quand tout le monde est rassasié et habillé, il installe la petite Jeanne sur des coussins dans la carriole attachée à l'arrière de son cycle. Dans celle de Blanche, il entasse sa boîte à pinceaux, un cadre entoilé et son chevalet de bois démonté.

Fébrile, Blanche fait un ultime aller-retour entre la cour et le bâtiment. Leur appartement est situé au-dessus des salles de classe.

Sanglée dans la petite remorque, Jeanne s'impatiente.

— Tu es prête ? demande Théophile à l'aînée, également pressée de partir.

Déjà en équilibre sur la selle de son vélo, Suzanne opine.

Blanche revient vers la remorque, avec à son bras un panier en osier contenant du saucisson, des œufs durs et des fruits. Mi-solennel mi-rigolard, Théophile lui lance :

— Blanche, j'ouvre la marche. Qui m'aime me suive !

Aussitôt, il enfourche son vélo. Blanche exagère son admiration :

— Quel homme, ce Théo ! Quel chef ! Applaudissez, les filles !

Les enfants obéissent de bon cœur. Théophile et Jeanne, suivis par Suzanne qui zigzague sur son vélo, franchissent le portail de la cour de l'école. Blanche pose le panier dans sa remorque, mais s'emmêle dans ses jupons en enfourchant son vélo, si bien qu'elle tarde à rattraper le cortège.

— Eh ! Attendez !

Son appel se perd dans le vent. Dans la rue principale bordée de commerces, elle aperçoit Théophile pédalant déjà vigoureusement et Suzanne dans son sillage, cramponnée à son guidon. À peine bifurquent-ils vers la droite que Hamelin, le marchand de journaux, cheveux en bataille, sort de sa boutique :

— Monsieur l'instituteur ! Monsieur l'instituteur !

Théophile, Petit-Jean et Suzanne ont déjà disparu au coin de la rue. Blanche, demeurée à distance, s'arrête à la hauteur de l'homme, qui tente de ramener sur son front la mèche de cheveux qui lui balaie les yeux.

— Eh bien, Hamelin, qu'est-ce qui se passe ?

— Excusez-moi... Je vous ai mis le journal de côté. Pour la nouvelle...

— Quelle nouvelle ?

Elle n'entend pas la réponse, distraite par Théophile, qui a rebroussé chemin.

— Blanche, ne traîne pas ! crie-t-il, les mains en porte-voix.

Elle se saisit du journal et le jette dans la remorque.

— Je vous paye en rentrant ! Merci, Hamelin !

Une heure plus tard, le vent a baissé. Dans l'air flottent des odeurs d'herbage. Les travaux de fenaison ont pris fin deux semaines auparavant et des bottes de foin vallonnent çà et là le paysage. Pédalant mollement, les cyclistes dépassent un champ hérissé de tiges coupées ras qui grattent les pieds et les fesses. Les filles s'en plaignent et, malgré la fatigue, préfèrent s'arrêter plus loin. Enfin, un ciel dégagé et un pré s'offrent à eux. Ils mettent pied à terre. Blanche déplie la nappe et sort les provisions pour déjeuner sous le soleil de juillet. À l'eau pour les filles, au cidre pour les parents.

Plus tard, tout en surveillant les deux fillettes qui chahutent et courent dans l'herbe armées d'un filet à papillons, Blanche achève de rassembler les reliefs du pique-nique.

— Ne courez pas au soleil, ou bien venez mettre votre chapeau ! Jeanne, il faut que tu fasses un petit repos à l'ombre, ma chérie.

— Pas tout de suite, maman, tout à l'heure...

Blanche prend un livre dans son sac et s'assied au pied d'un arbre. Elle se plonge dans les Histoires naturelles de Jules Renard.

— Ce Jules Renard, tout de même ! Écoute, Théo, ce qu'il écrit : « Quel admirable animal que le cochon, il ne lui manque que de savoir faire lui-même le boudin. »

Insensible à sa boutade, Théo, allongé dans l'herbe, légèrement dressé sur un coude, semble absent. Il s'est absorbé dans la lecture de L'Ouest-Éclair de la veille, que Hamelin leur a glissé en passant. Blanche n'insiste pas : fendre l'armure d'un homme si concentré est peine perdue. À la dérobée, elle l'observe. Il a son visage des mauvais jours, deux plis verticaux sur le front et les sourcils froncés. Elle comprend lorsqu'il replie son journal et qu'apparaît le titre de une : « Jaurès assassiné ».

— Mon Dieu ! C'est pas vrai ! s'exclame Blanche.

Théophile lâche les feuilles, que Blanche ramasse aussitôt.

— C'est mauvais signe, hein, Théo ?

— Très, convient-il.

Tandis qu'elle parcourt à son tour le compte rendu de l'assassinat du tribun socialiste, Théo monte son chevalet. Une fois les pièces emboîtées, il sort de la remorque de son vélo un cadre sur châssis qu'il pose sur le trépied, puis il s'applique à mélanger au couteau les couleurs sur sa palette. Enfin, il choisit un pinceau à poils courts et une brosse large. Avec le premier, il inscrit au dos de la toile : « Dimanche 2 août 1914. »

Cette journée se confond avec de la chaume et des haies bocagères à perte de vue, mais derrière se profile un autre horizon. Jaurès aurait-il pu infléchir le cours des événements ? Dans la presse, depuis des mois, s'étalent illustrations et photographies des manœuvres. Hommes politiques et éditorialistes entonnent le même refrain, celui de « la reconquête des provinces perdues ». Cocardes, gravures d'officiers fièrement dressés sur leur cheval blanc, Marianne éplorées mais consolées fleurissent partout. Quelques peintres glorifient même l'artillerie, canons et caissons, dans des toiles grand format. Des fresques paisibles, des hommes souriants. À contempler ces fûts tirés par un attelage hippomobile, on n'imagine aucun bruit. Ces cylindres de bronze ont la beauté des grands arbres qu'on abat.

La lumière du jour déc...
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