"Du Contresens" sera désormais une référence incontournable pour qui s’interroge sur la langue, sa transmission, ses trahisons, et ses fruits imprévus. Dans la présente somme (800 pages confondantes d’intelligence et d’érudition), Pierre-Emmanuel Dauzat se garde bien d’infliger au lecteur un catalogue : il montre tout au contraire comment le contresens, a pu être aussi nocif (volontairement ou non) que fécond, et qu’une fois admis dans des textes canoniques son influence a pu aller jusqu’à faire jurisprudence. Car les langues humaines sont inégales devant la traduction, la structure même de certaines d’entre elles (comme l’hébreu) permettant des « jeux de sens », tandis que d’autres (les latines par exemple) obligent à choisir et renvoient nécessairement à l’exégèse. On verra comment les contresens s’avèrent parfois nécessaires, au point que des interprétations fondées sur une traduction exacte ou une version inexacte aboutissent aux mêmes conclusions ! Dans l’ordre plus général de la culture, tous les idiomes n’accordent pas du reste le même crédit à la « translation », et le thème du contresens apparaît alors indissociable de l’interdit frappant parfois la traduction, cet interdit étant lié à la peur de la « conversion » religieuse… L’ampleur déjà prodigieuse de cette étude s’étend enfin au contresens dans la peinture, la musique et le roman, où joue encore à plein la fécondité du contresens. S’il contrarie le sens premier, il faut reconnaître au contresens le mérite d’ouvrir un sens dont la clôture est souvent prématurée. La « pratique » du contresens apparaît alors comme un exercice de patience doublé d’une éthique de lecture, un chemin nécessaire vers l’inévitable retour à l’original contre la glorification du passage que prétend être la traduction.
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