Premier regard

« Je suis l’innocente victime d’une grave infirmité. Je ne reconnais personne. Ni mes voisins, ni mes collègues, ni même parfois des amis. Cela depuis toujours. Déjà jeune homme, je me souviens avoir passé une semaine, jour et nuit, en tête-à-tête avec une petite amie. Lorsqu’enfin nous sommes sortis de la chambre afin de prendre un petit déjeuner, je me suis assis par mégarde à la table à côté de la sienne, en face d’une autre fille. Je n’avais pas pu différencier l’une de l’autre. Naturellement mon amie ne m’a pas cru et m’a quitté immédiatement. C’est là que j’ai découvert que j’avais un gros problème. J’ai tout essayé, en vain. Je suis si peu physionomiste que certains jours devant le miroir, je ne me reconnais pas moi-même. Petit à petit, j’ai compris la raison de cette infirmit&e acute; : je ne vois pas ce que tout le monde croit voir. Ce qui me rassure, c’est de lire, sous la plume des écrivains, des descriptions qui coïncident avec ma propre vision des gens. J’invite les personnes curieuses à essayer de regarder le monde avec un peu plus de fantaisie. Ils vont s’apercevoir que bien des cygnes sont en fait de vilains canards, ou l’inverse. »
R. Aeschlimann