L'enfant de la montagne noire
EAN13
9782809801248
ISBN
978-2-8098-0124-8
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Roman français
Nombre de pages
643
Dimensions
24 x 15,4 cm
Poids
796 g
Langue
français
Code dewey
849

L'enfant de la montagne noire

De

Archipel

Roman français

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eISBN 978-2-8098-0944-2

Copyright © L'Archipel, 2008.

L'ENFANT DE LA MONTAGNE NOIRE

Prologue

C'était une nuit du mois d'août 1955. L'orage qui éclata au-dessus des deux villages de Saint-Laurent-le-Haut et Saint-Laurent-le-Bas fut l'un des plus violents de ce siècle. Dans les fermes bâties sur les flancs de la Montagne noire, les habitants restaient terrés, remerciant le ciel que la plus grande partie de la moisson fût déjà rentrée. Cette nuit-là, des grêlons gros comme le poing tombèrent sur toute la région. Et la foudre frappa la vieille fabrique de laine, située à trois kilomètres de Saint-Laurent-le-Haut.

Le bâtiment était abandonné depuis longtemps déjà. Il ne restait plus que des murs de pierre grise, carcasse vide recelant quelques rouleaux de laine brute. Une ruine, devenue le paradis des rats, des araignées et des oiseaux nichant dans les poutres soutenant le toit, mais aussi celui des enfants qui venaient jouer dans ce lieu où flottait encore l'odeur âcre des teintures. La foudre tomba sur l'usine en tout début de nuit. Et comme il n'avait pas encore plu, elle l'embrasa entièrement en quelques minutes.

Quand les pompiers arrivèrent enfin, il était trop tard. Ils n'avaient plus devant eux qu'un gigantesque brasier. Des flammes hautes de dix mètres montaient vers les nuages noirs courant dans le ciel. La chaleur était si intense que les moellons des murs eux-mêmes éclataient, projetant des gerbes d'étincelles. Dans les volutes de fumée noire qui enveloppaient le lieu du sinistre, les pompiers déroulèrent leurs lances, mais l'eau qu'ils projetèrent sur le brasier ne fut pas d'un grand secours, et il fallut attendre que les nuages crèvent et déversent des trombes de pluie pour qu'enfin l'incendie recule et qu'ils puissent s'engager dans les ruines.

Quand ils vinrent à bout de l'incendie, il ne restait plus grand-chose du petit cadavre d'Agnès.

La fillette, âgée de cinq ans, avait disparu la veille au soir. Sa mère, Mathilde, son père, François, avaient longtemps battu les champs, avant de se décider enfin à prévenir la gendarmerie. Et voilà qu'on venait de retrouver le corps à demi carbonisé de l'enfant, gisant en position fœtale dans un recoin des ruines fumantes.

Agnès n'était pas morte par accident. Elle ne s'était pas endormie dans l'usine, où elle avait joué toute la journée. L'enfant avait été enlevée, puis abandonnée là par son ravisseur, qui avait noué autour de ses poignets et de ses chevilles une solide corde de chanvre – que les pompiers, effarés, découvrirent lorsqu'ils voulurent évacuer le minuscule cadavre.

Dehors, debout devant les ruines, Justin Gilles attendait. Un grand homme sec, au visage plissé de rides, aux yeux d'un bleu perçant. Agé de quarante-cinq ans, il exerçait la profession de localier au petit journal de la région, La Montagne noire. Il était venu pour « couvrir » l'incendie. Quand il vit passer la civière portant le corps recouvert d'un drap blanc, il comprit qu'il tenait l'affaire de sa vie...

1

Ici, au sud du Tarn, chaque geste de la vie est aux couleurs du vent. Les vieux savent d'instinct d'où il vient en promenant leur regard sur la Montagne noire. Quand l'autan balance les cimes des arbres vers Mazamet, ils savent ce qu'il ne faut pas faire. « Par vent d'autan, expliquent-ils aux enfants, ne transportez pas les œufs pleins – ceux que le coq a remplis –, sinon ils se videraient et il n'y aurait pas de poussins. Ne touchez pas au vin : ce n'est pas le moment de le tirer, ni d'ouvrir la barrique, sinon il tournerait. Et surtout, surtout, ne tuez pas le cochon : la viande rancirait. »

Ici, le vent commande la vie. Car l'autan est puissant. Il pousse ses rafales à 80 km/h ; dans les champs, même les vaches lui tournent le dos. Le soir venu, il se cache. L'air devient tout miel, la terre asphyxiée reprend ses odeurs et se redresse. Sacrément fière...

Mais le lendemain, tout recommence. Car le vent d'autan, c'est trois, six ou neuf jours. Et pour le briser, il n'y a que l'orage. Quand il arrive enfin, le vent passe à l'ouest, et tout reprend vie. Autrement.

Aujourd'hui, en cette fin août torride de l'année 1955, l'autan souffle comme s'il ne devait jamais s'arrêter. Venu de la Méditerranée, à soixante-dix kilomètres de là, il se lève, gorgé d'eau salée en suspension dans le golfe du Lion. Puis il s'engouffre dans le couloir de la Montagne noire et, par effet Venturi, il forcit sur Labastide, avant d'éclater à la base de l'entonnoir de la plaine tarnaise, de Revel à Castres. Il s'étale ensuite jusqu'à Toulouse...

Le vent. Le vent d'autan. Le vent qui rend fou. Il souffle maintenant depuis deux jours. Et Mathilde, terrée dans la cuisine de la métairie, en perd la tête. Ce vent âpre, qui balaye tout sur son passage, elle le déteste ! Comme elle déteste la maison de pierres plates au toit d'ardoises où elle vit – et ce pays où elle est née...

C'est en été que Mathilde a été conçue. Un été d'il y a vingt-six ans – un soir de battage. De toute éternité, ces soirs-là, les hommes éreintés par leur journée de travail s'assemblent dans les granges pour boire du vin des pays de l'Aude et manger les poulets tués pour l'occasion, les pâtés de cochon, les boudins — menu immuable, lui aussi. Les femmes et les filles vont et viennent de la cuisine à la tablée, attendant la fin du repas avec l'impatience des amours retenues. Ensuite, quand la nuit est enfin tombée, la grange frémit, la paille s'agite. Par prudence ou par pudeur, les chats qui y ont élu domicile s'esquivent. Et le royaume des amoureux est en fête, sous l'œil complice des parents, qui eux aussi, jadis, se sont couchés dans le foin...

C'est donc un soir de l'an 1929 que Mathilde a été conçue. Sa mère, Catherine, une jeunette qui n'avait pas tout à fait seize ans, était amoureuse depuis longtemps de Paul, un ouvrier agricole de près de vingt ans son aîné. Il était aussi grand et trapu qu'elle était menue et jolie. Un célibataire endurci, le Paul, mais elle avait juré de tout faire pour l'attirer à elle. Au cours du repas, elle a longtemps tourné autour de lui, lui réservant les meilleurs plats, veillant à ce que son verre soit toujours plein, frôlant le bas de sa jupe, l'aguichant – autant qu'une fille honnête peut se permettre de le faire, un soir de battage. Lui n'a pas réagi. Puis, à la fin du repas, comme elle se trouvait sur son passage, il lui a souri. Et ensemble, ils se sont dirigés vers un coin tranquille, un champ fraîchement moissonné sur lequel flottait encore l'odeur sèche de la paille. À quelques lieues devant eux se dressait la Montagne noire.

— Tu vois, a lancé Paul à Catherine, la montagne, on dit qu'elle est noire, mais en fait, elle est bien verte.

Catherine devine ses épaules. Il est épais, le drôle, et grand — le regard noir, la tignasse noire. Dans l'obscurité, sa silhouette se perd dans les plis du versant. Un bel homme... À seize ans, il sciait les arbres pour en faire des planches. Sa main gauche en témoigne : il manque une phalange au majeur. Et sa voix cassée : il a passé de longues années de sa vie à crier pour couvrir les bruits de la hache et de la scie à moteur. Il en a oublié qu'une voix, ça se module. Alors il parle fort. Plus tard, Mathilde aura peur de lui, à cause de cette voix tonitruante, qui hurle même pour tenir les propos les plus anodins.

— La montagne, dit Paul à Catherine, j'y ai taillé des châtaigniers par centaines. J'ai coupé, j'ai coupé. À force de la déplumer, je me disais qu'elle deviendrait blanche, la bougresse. Tu parles! L'été d'après, elle était encore plus noire, plus fournie, plus touffue...

Et pourquoi est-elle noire, cette grosse montagne verte...
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