Madame Diogène

Aurélien Delsaux

Albin Michel

  • Conseillé par
    18 septembre 2014

    Petit roman (heureusement !) fort bien écrit, même si quelques phrases m'ont posé question, que je trouve bancales, mal construites ou pour le moins maladroites, comme par exemple : "... elle est montée sur une pile de cageots, sur quoi elle avait jadis posé le yucca. Il est tombé voilà longtemps, le pot se brisa." (p.21) Le reste est franchement travaillé, de longues phrases (ce qui peut sans doute expliquer les maladresses dont je parle, écrire une longue phrase n'est pas toujours aisé), très ponctuées, comme j'aime.
    Mais le propos est sombre, gris comme la poussière et le moisi de l'appartement, rouge comme le sang que la vieille voit s'étaler sur la route suite à un accident et noir.

    Franchement noir. Pas d'espoir. Madame Diogène sombre dans la folie, la paranoïa la plus totale, pas une once de lumière dans ce récit, parfois, rarement, un simple rai sous la porte. Notons tout de même de belles pages sur la perte de l'écriture, du langage :
    "Elle voudrait y dessiner les lettres du tract abandonné, non les mots qu'elle n'a pas lus, mais la forme des caractères, traits croisés, superposés, ronds, lignes courbes, diagonales, droites perpendiculaires ou parallèles, et la verticalité des points d'exclamation, et le soleil noir abandonné à leur base, comme une larme, comme un cratère, comme le trou où tout finit. Elle joint ses doigts, sa main contractée fait une grosse araignée, elle trace des lignes verticales, épaisses et grasses. Ce sont des barreaux, des poteaux électriques, des potences, des chemins qui tombent sans aller vers rien, des troncs nus, sans branche ni racine." (p.87/88)
    Même lorsque les phrases sont belles, l'ambiance est délibérément noire, opaque, glauque dirais-je même, si l'on isole les mots ou les expressions de ces deux phrases, on flirte avec le désespoir total, le néant : "soleil noir", "larme", "cratère", "trou où tout finit", "barreaux", "poteaux", "aller vers rien", "des troncs nus". Et ce ne sont que deux phrases, longues certes, mais on est loin de la totalité du livre ! Il faut avoir bon moral pour aller au bout de cette lecture, c'est la raison pour laquelle je disais "heureusement" tout à l'heure pour le petit nombre de pages (138), plus serait un calvaire ! Déjà que j'ai failli abandonner avant la fin, mais je me suis accroché ; ça m'a rappelé une lecture terrible que j'avais faite -pas jusqu'au bout- de Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, un des rares bouquins que je crois même avoir jeté !

    Madame Diogène ne met pas à l'aise, ce livre dérange, déstabilise, et je ne le conseille qu'aux gens optimistes de nature, comme moi. Une femme qui me hantera sans doute dans un bouquin qui laisse comme un goût de "je ne sais pas si j'ai aimé" et qui devrait faire sensation dans cette rentrée littéraire. Aurélien Delsaux signe là son premier roman. Et il a une belle plume.